Le navire était un ancien hexapode de soutient, auquel on avait greffé la cale en bois d’un chalutier. Le tout avait été grossièrement repeint, d’abord en gris sombre, puis en bleu lorsque la peinture s’était épuisée, autant pour permettre une navigation discrète de nuit que pour masquer les insignes militaires qui indiquaient à quel camp avait été volé l’engin. L’ensemble, qui avait sans doute connu des jours meilleurs, faisait vaguement penser à un cuirassé rescapé d’un cyclone, et canardé par des dizaines d’obus. Mais on avait assuré à Voorsk qu’il tenait parfaitement la mer, par tous les temps, et que l’engin de guerre qui occupait le pont, en plus d’offrir deux cabines de confort acceptable, fournissait une protection efficace contre les pirates qui sillonnaient ces eaux.
L’équipage était constitué d’une vingtaine de gaillards, recrutés sous le coup de l’ivresse, et qui se rendant compte des méfaits de l’alcool. Il y avait là des marins de toutes les origines: deux solides ivrognes montagnards, qui s’efforçaient de noyer la honte de l’exil dans la bière –en vain, quatre abéliens craintifs, qui fuyaient le régime religieux, cinq canonniers haldérans rescapés d’une bataille navale, trois ouvriers de Nohandia, et cinq ou six pirates des îles, qui s’imposaient déjà dans le groupe à grand renfort coups d’épaules. Et l’ensemble de ces gueux était surveillé par les sept hommes de Voorsk, armés autant de courage et de loyauté que de sabres et de fusils.
Il installa le vieil homme dans une cabine, désigna aux quatre gardes du corps un coin de pont, puis s’enferma dans le poste de commandement avec sa dernière recrue, un capitaine marchand de Shaïkos. Ils observèrent attentivement les cartes maritimes, puis se mirent d’accord sur un trajet approximatif, qu’ils soumettraient au jugement de leurs guide plus tard. Voorsk tira une poignée, donnant par la même occasion le signal du départ. Les machinistes enfournèrent le charbon dans le brasier, le capitaine saisit le gouvernail mécanique, et le navire difforme s’élança maladroitement sur la surface lisse de la mer, sous le regard méfiant du soleil naissant.